vendredi, octobre 07, 2005

Le Québec: le racisme dans les ondes

Chronique:

Le grand écrivain, Albert Memmi, a noté dans son fameux livre Le racisme qu’il est très difficile de trouver un raciste qui assume ouvertement son attitude. Vous aurez toujours droit à cette phrase d’étonnement : moi raciste ? Jamais ! Mais cela n’empêche que le racisme existe et bel bien.

Autre monde, autre attitude. Au Québec, on assume son racisme en vous regardant droit dans les yeux. Pire, on le justifie même par la science. Plus grave encore, on ne s’embrasse même pas de le soutenir dans une émission de télévision à succès.

Si vous habitez au Québec, vous devez certainement savoir de qui il s’agit. Sinon, je vais vous le dire. Il s’agit d’ un psychiatre de profession qui répond au nom très académique de docteur Mailloux. Il a sa propre émission sur la station de radio CKAC où il anime depuis des années une tribune libre. Il y répond, en direct, aux questions psychologiques de ses nombreux auditeurs.

Lors de son passage dans Le monde en parle, une copie de la fameuse émission française et diffusée sur la télévision de Radio-Canada, ce docteur Mailloux a tenu des propos absolument choquants en expliquant le plus calmement du monde que les Noirs et les autochtones avaient un quotient intellectuel plus faible que la moyenne. Il s’est appuyé, semble-t-il, sur une étude américaine faite par des sociologues américains.

Cependant, ce que notre docteur ne sait pas. C’est que la biologie n’explique pas ce retard, si retard il y a. Le niveau social est déterminant dans la réussite scolaire. Ce que le grand sociologue français, Pierre Bourdieu, a démontré depuis des lustres avec son concept de capital culturel. Un fils de médecin, parce que ses parents sont cultivés, est toujours avantagé par rapport à un fils d’ouvrier. Ce qui est tout à fait normal.

Regardons la situation des Noirs et des autochtones en Amérique du Nord ! Si les premiers sont rejetés dans les périphéries des villes, parce que en bas de l’échelle sociale, les deuxièmes sont parqués dans des réserves où ils vivent dans des conditions extrêmement pénibles. Il est donc tout à fait normal que leurs enfants aient moins de chance de réussir leur scolarité. Parce que exclus, discriminés et défavorisés par le système social en vigueur.
Il est certain que si on offre les mêmes conditions de vie des petits blancs aux enfants des Noirs et des autochtones, ils auraient le même taux de réussite scolaire, et partant sociale. Je ne pense pas que cette situation a un quelconque lien avec la biologie comme docteur Mailloux essaye de l’insinuer, qui n’est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Il a déjà tenu des propos nauséabonds contre les Sikhs en les traitant d’un communauté de bozo (idiots). Il s’est aussi illustré en s’insurgeant contre l’immigration qui vient du tiers-monde et des " pays arriérés " en appelant à favoriser les Européens de l’Ouest et les Scandinaves.

Là, il semble que le docteur Mailloux n’est pas très bien renseigné. Il ne sait pas que les Scandinaves ont les niveaux de vie les plus élevés au monde. Ils dépassent et de loin le Québec. Il faut qu’ils soient fous pour venir au Québec et endurer des conditions difficiles d'une nouvelle vie et surtout les propos d’un xénophobe, doublé d'un raciste notoire, comme lui.
Lahsen Oulhadj

mardi, octobre 04, 2005

L'arganier : une destruction tous azimuts



Dans mon enfance au fin fond du Souss - une région berbérophone se trouvant au sud-ouest marocain -, ce qui n'était pas bien vieux car il s'agissait juste de la fin des années 70 du siècle passé, je n’oublierais jamais cette épaisse et dense forêt de l'arganier, toujours verdoyante, qui se trouvait non loin de la maison familiale. Mes cousins et moi, aussi hardis que nous étions, nous n'osions même pas s'y aventurer, tellement qu'elle nous impressionnait par son immensité et sa densité.

Maintenant, de l'inoubliable arganeraie de mon enfance, il ne subsiste plus - hélas ! - que quelques arbres épars et d'aspect chétif, qui seraient tôt ou tard abattus. Le même scénario se répète malheureusement un peu partout dans la région. On peut parler, sans vouloir exagérer, d'un véritable " génocide écologique ", qui a fait perdre au Souss et au-delà au pays, une grande partie d'un patrimoine forestier unique au monde et pour cause. Cet arbre ne se trouve nulle par ailleurs sauf dans ce coin du Maroc.

Vieux comme le monde

L'arganier a commencé à pousser il y a quelque 80 millions d'années. Sa zone dépasserait et de loin son emplacement l'actuel. Car on trouve quelques colonies dans la région de Khémisset au nord non loin de la capitale Rabat, à Aït Iznassen au nord-est et même au sud-est dans les environs de Tindouf, en Algérie.

Aujourd’hui, il ne couvre plus, approximativement, qu'une superficie de 830.000 hectares avec quelques 21 millions arbres. Plus être plus précis, son aire géographique, en plus de la vallée du Souss, va du versant sud du Haut-Atlas au versant nord de l'Anti-Atlas jusqu'au massif de Siroua à l'est. Au Sud, il s'étend jusqu'à la région d'Agoulmim, aux confins du désert saharien.

Cet arbre, qui peut vivre jusqu'à 250 ans, est un moyen puissant de protection du sol grâce à ses racines qui pénètrent les profondeurs de la terre, jusqu'aux nappes phréatiques. Il enrichit aussi la terre par ses feuilles, ses fruits et surtout par toute une végétation exubérante qui pousse à ses pieds. Un vrai bonheur pour les ovidés. Et surtout les caprins, qui vont jusqu’à escalader ses branches avec une dextérité surprenante, pour manger ses feuilles éternellement vertes. Idem pour les camelins qui en raffolent. D'ailleurs, chaque année, leurs propriétaires, qui remontent du Sahara à la recherche des pâturages, ont souvent maille à partir avec les populations locales à cause des énormes dégâts qu’ils provoquent lors de leur passage.

L'arganier est surtout une barrière naturelle contre la progression de la désertification qui, malheureusement, avance lentement, mais sûrement à cause de la destruction dont il a fait et fait encore l'objet, souvent avec une férocité inégalable.

Huile magique

L'Arganier, dont le bois est un combustible, produit une huile qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Son extraction, qui à ce jour a échappé à toute mécanisation, demande un savoir-faire traditionnel extrêmement complexe dont la femme berbère garde jalousement les secrets. Il serait fastidieux de raconter tout en détail. On va donc se contenter juste de l’essentiel.

Tout d’abord, il faut ramasser des fruits secs auxquels il faut enlever une espèce de cosse ( tafyyoucht ), pour pouvoir avoir les noyaux ( aqqayen) extrêmement durs. Il faut ensuite les concasser pour avoir finalement des graines oléagineuses ( tiznin) qu'il faut torréfier sur un plat en argile dans une température bien précise. À la différence des olives, ce n'est pas la pulpe qui donne de l'huile, mais plutôt ces magiques graines blanc pâle.

Ensuite, il faut tout moudre dans un moulin traditionnel ( azergg) spécialement destiné à cette tâche. En récitant des phrases rituelles, la pâte ainsi obtenue est versée dans un grand récipient. Il faut donc la malaxer et la presser avec les mains en y versant de temps en temps de l'eau tiède jusqu'à ce que se forment des grumeaux pareils à des grains de couscous.

Enfin, en les remuant lentement, commence à voir une huile écarlate d'une odeur très agréable et pourvue d'un goût très particulier et des propriétés diététiques indéniables.

À noter que ce n'est pas aussi simple que cela. Pour l'avoir essayé, c'est un travail extrêmement pénible, harassant. Il faut au bas mot 20 longues heures de travail pour extraire juste un litre de cette précieuse huile.

Arbre sacré

Dans la mémoire collective des populations locales, l'arganier est une bénédiction divine. On prête même à certains de ces arbres des pouvoirs magiques. Il n'est pas rare, pour celui qui sillonne le Souss, de tomber sur un arganier immense et solitaire au milieu de nulle part. S'il n'était pas arraché, c'est qu'il est intouchable parce que pourvu de pouvoirs sacrés. Le toucher, c'est s'attirer les foudres de ses esprits protecteurs.

D'ailleurs, on racontait qu'un Caïd- le représentant du pouvoir central- dans les environs de Biougra, à quelques encablures d'Agadir, a été excédé par la présence d'un de ces immenses arganiers où les villageois alentours viennent, chaque année, y faire une fête rituelle, appelé lmaârouf , certainement les restes d'une tradition païenne encore vivace.

Toujours est-il que le Caïd en question, et dans la plus pure tradition autoritaire du régime marocain, a décidé de le déplumer totalement de ses longues branches, sans tenir compte des protestations " silencieuses " des habitants. Son forfait commis, en rentrant chez lui, il a eu un accident de voiture extrêmement grave. " Les foudres de la malédiction ne l'ont pas raté ", avaient pensé les gens que cet incident n'a fait que confirmer dans leurs croyances. Et depuis, le dit arganier trône toujours, avec majesté, à sa place. Personne ne penserait même pas s'en approcher et à plus forte raison le couper.

Résistance

Beaucoup de poètes et d'écrivains, originaires de la région, ont évoqué cet arbre noble en soulignant sa capacité extraordinaire à surmonter les pires des sécheresses. L'enfant terrible du Souss et le phénomène de la littérature marocaine d'expression française, Mohamed Khaïr-Eddine, l'a évoqué ainsi dans l'un de ses poèmes : " Arbre magique et vénérable, tes racines forent le roc et scellent avec la terre un pacte irrévocable ; tu es le végétal le plus résistant et sans doute le plus beau ... "

En effet, l'arganier n'a pas besoin de beaucoup d'eau ; il peut se contenter d'une pluviométrie très basse. Il n'est pas non plus exigeant au niveau de la terre ; il n'est pas rare de le voir se tenir, coûte que coûte, même dans les falaises les plus raides. Il peut pousser n'importe où pourvu que le climat soit un " hiver chaud ou tempéré, une humidité de l'air toujours forte et une fréquence élevée de brouillards ", selon l'expression de Nada Radi, une scientifique qui a rédigé toute une thèse de doctorat sur cet arbre qu'elle considère, à juste titre, comme appartenant à la famille des " arbres de fer ", à cause certainement de son entêtement indémontable à survivre dans un milieu parfois très hostile.

Inconscience

Plusieurs facteurs concourent à détruire l'arganier dont la nature elle-même. La sécheresse endémique qui sévit dans la région depuis des siècles et surtout les fortes tempêtes du vent qui ne sont pas, heureusement, régulières. Mais lorsqu'elles soufflent, elles provoquent un véritable massacre, une hécatombe.

Au début des années 80, une tempête d'une violence inouïe a frappé une grande partie de la vallée du Souss. J'ai vu de mes propres yeux des centaines et des centaines d'arbres tomber pour le plus grand bonheur des animaux et surtout des hommes. En quelques semaines, tous les arganiers ont complètement disparu, car coupés et vendus dans les marchés de la région et même d’ailleurs.

L'État aussi a une grande part de responsabilité. Du temps déjà de la présence française, des milliers et des milliers d'arbres ont été transformés en charbon de bois. Pour vous donner une idée de ce crime impardonnable : 2000 hectares sont sacrifiés chaque année entre 1918 et 1924.

Pire, après l'indépendance la destruction a suivi son bonhomme de chemin. À cause de l'extension galopante de l'urbanisation et de l'agriculture intensive. Le développement des villes comme Biougra, Aït Melloul et Agadir par exemple se fait de plus en plus au détriment de la forêt ou ce qui il en reste.

Plus grave encore, en plein milieu de la forêt d'Admim, l'une des forêts les plus importantes du Souss, il a été érigé, au plus grand dam des habitants de la région, un aéroport et deux autoroutes, la première reliant Aït-Melloul et l'aéroport et la deuxième reliant cette même ville à Taroudante. Résultat : des milliers d'arbres à jamais perdus.

Et last but not least, les autorités n'ont pas trouvé mieux que de brader à un Saoudien une grande partie de cette même forêt, qu'il a entourée d'une muraille longue de plusieurs mètres, pour y pratiquer, semble-t-il, son sport favori, la fauconnerie. Un véritable scandale qui n'émeut pas grand monde malheureusement.

Et cerise sur le gâteau, le Maroc a perdu depuis belle lurette l'exclusivité de la marque d'" argan " au profit d'une entreprise française. Le journal marocain l' Économiste nous l'a rappelé récemment tout en se scandalisant devant ce fait accompli et surtout devant le terrible silence des officiels marocains qui ont montré, une fois de plus, qu'il font peu de cas de ce symbole distinctif de leur pays.

Il faut vraiment avoir le cœur bien accroché en voyant le sort réservé à cette richesse inestimable qui a été, depuis toujours, une source précieuse de vie pour tout un peuple authentiquement africain, les Berbères, qui s'accroche vaille que vaille à la vie un peu comme ce même arbre mythique.

dimanche, octobre 02, 2005

Le Seigneur de guerre: mi-figue, mi-raisin

Lahsen Oulhadj
Le film raconte l’ascension fulgurante, la dernière quinzaine d’années du siècle passé, d’un marchand d’armes d’origine ukrainienne et est établi aux États-Unis. Son commencement dans le milieu a débuté en assistant, par le plus grand des hasards, à une fusillade dans un grand hôtel new yorkais. Ce qui est pour le moins léger, reconnaissons-le !

La fin du bloc de l’Est a eu pour résultante l’explosion du marché des armes, et partant, la prospérité des affaires de Yuri Ovlov, protégé hypocritement par les grandes puissances et en même temps poursuivi continuellement par un agent têtu d’Interpol, qui entraîne dans son monde terriblement tragique, son petit frère Vatali. D’ailleurs, celui-ci va en être la victime expiatoire parce que il en refuse les règles du jeu.

Une plongée adacieuse dans un monde glauque des armes est tout simplement à saluer. Mais, à mon sens, il y a quelques ratés. Primo, un moralisme trop flagrant, si ce n’est un simplisme de mauvais aloi, de bout en bout du film ; on aurait pu être un peu moins direct ! Secundo, on a usé et a abusé de duel bien/mal avec l’agent d’Interpol, qui est présent partout à tel point qu’il en devient fatigant. Enfin, manque de vraisemblance pour certaines scènes, surtout lors de l’atterrissage de l’avion de Yuri dans une savane africaine et son démantèlement, en un temps record, par les populations locales, montrées sous un mauvais jour.
En visionnant le film, on ne peut pas s’empêcher d'avoir l'amère impression qu’il renforce certains clichés de l’Africain violent, barbare et sauvage. Ce qui est dans la réalité est loin d’être vrai.